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Montlh�ry, cit� mill�naire.
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Louis XI, la bataille de Montlh�ry

Cette page est un court extrait du passionnant r�cit de Paul Murray Kendall (Louis XI, Fayard)

Consultez �galement la notice r�alis�e par M. PAYEN � l'occasion du mill�naire des Cap�tiens.

Le jeudi 11 juillet, le roi de France s'en alla entendre la messe en l'�glise Notre-Dame de Cl�ry, � huit milles au sud-ouest d'Orl�ans. Le fait de sa pr�sence en ces lieux nous est connu gr�ce � un message expr�s que Louis fit tenir � la veuve du duc d'Orl�ans, ni�ce du duc de Bourgogne, pour le prier de transmettre une mise en garde au comte de Charolais. D'apr�s Panigarola, le roi avait chevauch� "nuit et jour". Louis XI consacra les vendredi et samedi 12 et 13 juillet � passer ses troupes en revue.. La cavalerie lourde et les archers mont�s franchissaient alors la Loire en empruntant les ponts d'Orl�ans et de Louis XIBeaugency. Des milliers de fantassins ainsi que la plupart des unit�s d'artillerie peinaient encore sur les routes du Bourbonnais, suivis par les arri�re-gardes et les renforts venus du Languedoc. Le roi ne pouvait les attendre, de m�me qu'il ne pouvait accorder de repos � ses hommes. Il informa la capitale que son arm�e arriverait le mardi 11 juillet. Les courriers se succ�daient, mais seules les nouvelles en provenance de Paris laissaient subsister quelque espoir. La masse des Parisiens restait envers et contre tout fid�le � son souverain. Le mar�chal Roualt, qui ait p�n�tr� dans la ville le 30 juin, avec cent lances, le lieutenant g�n�ral du roi, Charles de Melun, et le futur �v�que d'Evreux, Jean Balue, un eccl�siastique grossier et libertin mais dou� d'un esprit �nergique et entreprenant, avaient soigneusement organis� la d�fense de la capitale.

Dans l'apr�s-midi du 5 juillet, alors que le roi se trouvait encore � Montlu�on, l'arm�e du comte de Charolais, qui comprenait quelque vingt-cinq mille hommes appuy�s par la meilleure artillerie d'Europe, fit son apparition devant les murailles nord et ouest de Paris. Ni les tentatives d'intimidation ni les essais de corruption ne parvinrent � entamer la loyaut� de la capitale. Les 7 et 8 juillet, les assauts lanc�s contre les portes furent ais�ment repouss�s; nombre de Bourguignons, furieux que le duc de Bretagne e�t manqu� son rendez-vous avec eux, mena�aient de ne pas aller plus loin. Mais le comte de Charolais mit fin aux murmures des m�contents en d�clarant qu'il continuerait m�me s'il ne lui restait qu'un page pour l'accompagner. Durant la nuit du 10 juillet, les Bourguignons s'empar�rent du pont de Saint-Cloud, � l'ouest de Paris. D�sormais, la route du sud �tait libre.

Le dimanche 14 juillet � l'aube, le roi Louis, qui s'occupait de rassembler ses troupes � Beaugency, sur la rive gauche de la Loire, fut inform� que l'arm�e bourguignonne avait franchi la Seine et descendait vers Orl�ans. Par ailleurs, il apprit que les Bretons approchaient dangereusement. Le duc de Berry et le duc de Bretagne �taient l'un et l'autre de pi�tres guerriers, mais ils avaient d'excellents capitaines, comme le comte de Dammartin - qui souffrait de la goutte mais dirigeait les op�rations d'une liti�re -, Loh�ac, autrefois mar�chal de France, Jean de Bueil, l'ancien amiral du royaume, et l'habile Odet d'Aydie. En apprenant que le roi avait gagn� Riom, l'arm�e bretonne, qui comptait quelque douze mille hommes, se mit � progresser vers l'est. Le comte du Maine, dont les troupes �taient presque aussi nombreuses, se retira prudemment devant elle. Les Bretons travers�rent la Loire aux Ponts-de-C�, pr�s des grandes murailles d'Angers, mais le roi Ren� ne fit aucun mouvement pour leur barrer la route. Maine se repliant sur Tours, ils arriv�rent � Vend�me sans rencontrer la moindre r�sistance. Le 13 juillet � midi - ainsi que Louis en fut inform� quelques heures plus tard -, ils entraient dans Ch�teaudun, � vingt-cinq milles au nord de Beaugency. Maintenant, ils �taient en mesure d'attaquer le roi par le flanc, si celui-ci d�cidait de marcher sur Paris, ou de rejoindre les troupes bourguignonnes avant m�me que Louis ne p�t lancer son arm�e contre elles. Pour compl�ter cet encerclement, les comtes d'Armagnac, de Nemours et de Bourbon s'avan�aient du sud, le mar�chal de Bourgogne du sud-est et le duc Jean de l'est avec une arm�e de cavaliers et de mercenaires suisses.

Jean-Pierre Panigarola, dont les d�p�ches refl�tent la vive agitation, restait le plus pr�s possible du roi "afin de savoir comment les choses �voluent d'heure en heure. La situation se fait toujours plus dramatique. Soit un accord interviendra tr�s rapidement, soit il faudra se battre, auquel cas la lutte sera ,d'autant plus sanglante et mortelle que la haine est profonde entre les deux partis".

Les compagnons de Louis �taient en proie � l'abattement et � la peur; certains affirmaient ouvertement que le roi serait bient�t contraint de souscrire � toutes les exigences des princes, car, pour lui, livrer et perdre une bataille rang�e signifierait la ruine. Face aux autres, Louis gardait une attitude r�solue, mais Panigarola sentait qu'il �tait "tourment� dans son esprit".

Dans la nuit du 13 au 14 juillet, le bruit courut � Beaugency que les Bretons quittaient Ch�teaudun pour rallier les troupes bourguignonnes. Si la rumeur se r�v�lait juste, avant le lendemain soir une arm�e de trente-cinq mille hommes couperait le roi de sa capitale. A l'aube du dimanche 14, Louis et ses hommes se mirent une fois de plus en route. Apr�s une marche forc�e rendue plus p�nible encore par la chaleur et la poussi�re de l'�t�, ils atteignirent Etampes dans le courant de la soir�e. Ils avaient presque parcouru cinquante milles. D�sormais, les Bretons, qui s'attardaient toujours � Ch�teaudun, se trouvaient loin derri�re. Cependant, � quelques milles de l�, les Bourguignons bloquaient la route de Paris. Au cours de la nuit, le comte du Maine, l'amiral de Montauban et Pierre de Br�z� arriv�rent � Etampes avec les troupes qui avaient si complaisamment laiss� les Bretons avancer � leur guise. Plusieurs milliers de soldats ainsi que le gros de l'artillerie du roi peinaient encore sur les toutes du sud.

T�t le lendemain, lundi 15 juillet, Louis rassembla son arm�e au milieu des champs. Entour� par ses soldats, il invoqua solennellement le secours du ciel. Des pr�tres "chant�rent neuf messes auxquelles le roi fut continuellement pr�sent dans une robe blanche, agenouill� les genoux nus ... "

Lorsque les messes eurent pris fin et que le roi eut prononc� de "tr�s ferventes pri�res", il convoqua un conseil de guerre auquel devaient prendre part tous ses seigneurs et tous ses capitaines. Louis ouvrit la s�ance par une br�ve allocution. La Maison de Bourgogne avait eu, dit-il, l'audace de creuser un foss� entre lui et les princes de son sang y compris son fr�re. Depuis, la discorde risquait d'entra�ner la ruine du royaume; mais il n'avait nullement l'intention de laisser les Bourguignons agir selon leur bon plaisir. Il croyait que "le Dieu tout-puissant et la tr�s glorieuse Vierge Marie" accorderaient leur soutien � sa cause. Aussi, si l'arm�e royale attaque les Bourguignons, "nous les briserons tous et les mettrons totalement en d�route", d�clara-t-il. Toutefois, pour conclure, il ajouta qu'avant de prendre une d�cision d�finitive, il souhaitait avoir l'avis de tous ses seigneurs et capitaines, car il voulait �tre guid� par la raison et non par l'�motion.

En tant que prince du sang, le comte du Maine parla le premier. D�peignant les risques que repr�sentaient une bataille rang�e, il d�clara que le roi devait �viter de se placer dans une situation aussi p�rilleuse. Ce n'�tait pas en fon�ant t�te baiss�e, mais en atermoyant et en n�gociant qu'il pouvait esp�rer la victoire. Son royal neveu devait � tout prix �viter de marcher contre les Bourguignons. Comp�re et amiral de Louis, Jean de Montauban appuya chaleureusement la strat�gie pr�conis�e par Charles du Maine : il �tait lui-m�me "absolument oppos� � ce que Louis attaqu�t ses ennemis".

Si l'on en croit un t�moin, "pendant que ces choses �taient dites, le roi perdit presque patience"

Tableau r�alis� par Vasco Gasquet repr�sentant la bataille de Montlh�ryPuis ce fut au tour du grand s�n�chal de Normandie de prendre la parole. Comme allaient le montrer les �v�nements, Pierre de Br�z� avait �t� en proie � une violente lutte int�rieure. Par ses go�ts comme par ses habitudes, il appartenait � l'�poque de Charles VII et, malgr� la haute consid�ration que lui accordait Louis XI, il ne se souciait gu�re du nouvel ordre que celui-ci tentait d'instaurer. D'instinct, il avait r�pondu � rappel des princes � qui il avait promis ob�issance. Cependant, maintenant qu'avait sonn� l'heure des ultimes d�cisions, le ministre de la couronne �tait incapable de trahir la monarchie pour laquelle il s'�tait jusque-l� d�pens� sans compter, de m�me que le valeureux gentilhomme se refusait int�rieurement � d�serter l'arm�e du roi au moment o� celle-ci s'appr�tait � affronter un ennemi sup�rieur en nombre. Le s�n�chal "r�suma ce qui avait pr�c�demment �t� dit au Conseil avec tant de sagesse qu'� l'entendre chacun fut frapp� d'�tonnement. Ensuite, il se tourna vers le comte du Maine, et, par un discours � la fois brillant et �mouvant, il lui d�montra que le roi devait � coup s�r livrer bataille contre les Bourguignons, qui, d�clara-t-il, ne pouvaient manquer d'essuyer une d�faite compl�te"

La plupart des autres capitaines accueillirent avec enthousiasme les paroles de Br�z�.

Louis annon�a alors qu'il continuerait son avance. Cependant, il voulait �viter qu'on l'accus�t ensuite d'avoir cherch� la guerre ou m�me d'avoir ouvert les hostilit�s. Il ajouta donc, comme il le raconta � Panigarola, et, beaucoup plus tard, � Philippe de Commynes, qu'en agissant ainsi il ne faisait rien d'autre que se conformer � sa premi�re intention qui �tait d'entrer dans Paris pour rallier sous sa banni�re la population de la capitale. Toutefois, si le comte de Charolais lui barrait la route, il n'h�siterait pas � se battre. Le roi d�posa ensuite ses joyaux et ses tr�sors dans la tour fortifi�e d'�tampes. Enfin, il envoya un message urgent � ses commandants de Paris: si, le lendemain, les Bourguignons contrecarraient sa marche, il leur livrerait bataille; auquel cas, si tout allait bien dans la capitale, le mar�chal Roualt pourrait sortir de la ville pour attaquer l'arri�re-garde de Charolais.

En fin d'apr�s-midi, l'arm�e royale reprit sa marche vers Paris, dont vingt-quatre milles la s�paraient encore. Cantonn�es � quelques milles � l'ouest, les troupes du comte du Maine devaient rejoindre le roi d�s le lendemain. Des �claireurs vinrent bient�t annoncer que le comte de Saint-Pol, envoy� en avant-garde avec quelques milliers d'hommes, avait occup� le village de Montlh�ry, situ� � mi-chemin entre Etampes et Paris, mais qu'il avait �t� jusque-l� incapable de prendre le ch�teau. Par ailleurs, ils inform�rent le roi que le corps principal de l'arm�e de Charolais stationnait � Longjumeau, � trois milles et demi de l�. Louis et ses hommes s'arr�t�rent pour passer la nuit � Etrechy, � dix milles au sud de Montlh�ry.

Le lendemain, mardi 16 juillet, les douces t�n�bres de la nuit ne s'�taient pas encore dissip�es que d�j� le roi et son arm�e se mettaient en mouvement. Comme ils atteignaient Arpajon, � trois milles et demi au sud de Montlh�ry, ils furent rejoints par les troupes du comte du Maine. A ce moment-l�, des �claireurs vinrent avertir Louis que l'arm�e du comte de Charolais avait ralli� l'avant-garde de Saint-Pol et que les Bourguignons se rangeaient en bataille dans les champs situ�s au nord de la colline de Montlh�ry.

Le roi convoqua un dernier conseil de guerre. Tandis que ses capitaines s'assemblaient, Pierre de Br�z� chercha � s'entretenir seul avec lui. En observant l'arm�e royale, il avait, dit-il, pu constater que les troupes �taient �puis�es par l'h�ro�que marche qu'elles venaient d'accomplir. Dans ces conditions, il croyait bon de remettre la bataille � plus tard. Si l'on attendait, ne f�t ce que jusqu'au lendemain, les hommes qui �taient d�j� sur place pourraient se reposer et ceux qui se trouvaient encore sur la route auraient la possibilit� de les rejoindre. En outre, cet arrangement permettrait � la garnison de Paris de mieux se pr�parer � attaquer l'arri�re-garde du comte de Charolais qui, pour sa part n'attendait plus aucun renfort.

Etonn� par le soudain changement que trahissaient les paroles de Br�z�, Louis lui demanda � br�le-pourpoint s'il n'avait pas partie li�e avec les princes.

Le grand s�n�chal de Normandie sourit. Il �tait vrai qu'il avait donn� sa parole aux princes, avoua-t-il, mais son corps et son �me restaient � son souverain. Il voulait vivre ou mourir pour le roi et avec le roi, "dit-il en gaudissant, car ainsi �tait accoutum� de parler".

Louis �tudia son interlocuteur, et, s�r de lui il d�cida de lui prouver sa confiance en lui donnant la place d'honneur: c'est au grand s�n�chal qu'incomberait le soin de commander l'avant-garde de l'arm�e royale.

A l'un de ses intimes, Br�z� d�clara, parlant des arm�es ennemies "Je les mettrai aujourd'hui si pr�s l'un de l'autre qui sera bien habile qui les en saura d�m�ler" - paroles que le roi lui-m�me rapporta des ann�es plus tard � Philippe de Commynes. Probablement Louis devina-t-il que pour lui conseiller de remettre la bataille au lendemain, le mar�chal devait avoir certaines raisons de soup�onner de trahison le comte du Maine qui ne cachait pas la r�pugnance qu'il �prouvait � l'id�e de se battre, et qui, � l'aube de ce m�me jour, avait manifestement re�u un h�raut du comte de Saint-Pol.

L'on �tait maintenant au milieu de la matin�e et d�j� le brutal soleil de juillet rendait l'atmosph�re irrespirable. Le conseil de guerre fut bref. Louis annon�a que Pierre de Br�z� prendrait le commandement de l'avant-garde qui, sur la butte de Montlh�ry, jouerait le r�le d'aile droite; lui-m�me dirigerait le corps d'arm�e central tandis que son oncle, le comte du Maine, conduirait l'arri�re-garde et viendrait ranger ses troupes sur l'aile gauche. Ensuite, le roi fit ouvertement part � ses capitaines des informations que lui avaient apport�es ses �claireurs. L'ost du comte de Charolais avait pris position dans la plaine de Montlh�ry: il y avait �tabli son campement et s'occupait de creuser des tranch�es et de disposer l'impressionnante artillerie, dont il disposait. Les Bourguignons �taient beaucoup plus nombreux que l'arm�e royale, mais ils ne comptaient que peu d'hommes de valeur, poursuivit le roi. Pour sa part, il les consid�rait tous comme perdus car ils s'�taient d'eux-m�mes plac�s dans une prison. C'�tait exactement le genre de paroles que des militaires professionnels pouvaient souhaiter entendre � la veille de la bataille.

Le grand s�n�chal rangea ses troupes et se mit en marche, bient�t suivi par les banni�res royales. Il �tait entre dix et onze heures du matin lorsque le roi de France bifurqua sur la droite et, quittant la route de Paris, escalada la colline de Montlh�ry jusqu'au ch�teau qui la couronnait. Bient�t il laissa ses hommes le d�passer pour aller prendre leurs positions sur le versant nord, � gauche de l'avant-garde de Pierre de Br�z�.

Une vaste �tendue de terrain se d�roulait vers le nord sous les regards du roi. Jadis cette plaine avait �t� baptis�e "champ des larmes". A pr�s d'un mille, sur une l�g�re pente au sol in�gal, l'ost du comte de Charolais s'�talait � l'ouest de la route de Paris, sur la gauche de Louis, presque jusqu'au village de Longpont, � un peu plus d'un mille en direction de l'est. Sur la droite du roi, une banni�re rouge et grise, domin�e par une licorne d'argent aux sabots et � la corne d'or, signalait la position du comte de Saint-Pol, qui, � la t�te de quelque huit mille hommes, commandait la gauche de l'arm�e bourguignonne. Des pennons flottaient aux armes des deux fils de Saint-Pol, du seigneur d'Herminies, premier chancelier du comte de Charolais et de quelques-uns des plus fiers chevaliers de l'Artois, des Flandres, du Hainaut et de la Picardie. Group�s autour de leur ma�tre, les archers de Saint-Pol �taient v�tus de cottes rouges et grises dont les ornements de m�tal �tincelaient au soleil. Au centre de la plaine se dressait l'�tendard du B�tard de Bourgogne, une barbacane azur sur fond or, autour duquel �tait mass� son corps d'archers, dont les vestes rouges arboraient la blanche croix de Saint-Andr�. Non loin de l�, on pouvait voir l'enseigne du seigneur de Ravenstein. Enfin, sur la gauche de Louis, � proximit� de la route Paris-Orl�ans, un grand drapeau, moiti� noir et moiti� violet, entour� d'archers portant les m�mes couleurs, signalait la pr�sence du comte de Charolais.

Devant l'ost bourguignon, une rang�e d'archers, prot�g�e par des pieux taill�s en pointe, devait couper l'�lan de la cavalerie ennemie. Au milieu se trouvait plac�e une troupe de cinq cents archers anglais consid�r�s par Commynes comme "la fleur et esp�rance" de l'arm�e Bourguignonne. Ils avaient �t� .leurs chaussures, mis en perce un tonneau de vin, et ne s'occupaient pour l'instant que de leur confort personnel. Derri�re eux, d'innombrables hommes d'armes, mont�s ou non, formaient une masse confuse et semblaient n'occuper aucune position pr�cise. A l'arri�re-plan, des chariots grossi�rement dispos�s en demi-cercle constituaient le campement bourguignon. Derri�re, la for�t de S�guiny fermait l'horizon de son flot de verdure. Entre les deux arm�es s'�tendaient des champs de bl�, d'avoine et de f�ves. Il faisait "terriblement chaud". Le soleil tapait sur les armures d'acier. Des terres "profond�ment labour�es" s'�levait une poussi�re qui rendait plus irrespirable encore l'�touffante atmosph�re de juillet.

Le comte de Charolais avait laiss� au roi une magnifique position d�fensive. Orient�e d'est en ouest la butte de Montlh�ry s'�levait en pente rapide de la route de Paris au ch�teau qui occupait son sommet et dominait la plaine qui s'�tendait � l'est. Le village lui-m�me se trouvait situ� sur le versant nord, l�g�rement � l'ouest du ch�teau. Pierre de Br�z� rangea ses gentilshommes normands et ses escadrons de lances, tous mont�s, face aux troupes du comte de Saint-Pol, de beaucoup sup�rieures en nombre. Plac�e sous le commandement du roi, la "bataille principale ", que constituaient sa garde �cossaise, son r�giment dauphinois et des unit�s appartenant � l'arm�e permanente, prirent position dos au ch�teau, entre le village et Br�z�. Le mar�chal d'Armagnac, le vieil Ecorcheur Salazar et Robin Malortie, qui en �taient les principaux capitaines, servaient Louis depuis plus de vingt ans. L'aile droite, confi�e aux ordres du comte du Maine, s'�talait le long de la cr�te qui, de la route, s'�levait en direction de l'est jusqu'au dessus du village.

Bien que son arm�e occup�t une position dominante, bien qu'elle f�t moins nombreuse que celle de l'adversaire et compt�t dans ses rangs certains �l�ments suspects, par cette torride matin�e de juillet le roi de France n'avait nulle intention de rester sur la d�fensive. Il �tait venu l� en souverain seigneur pour balayer les rebelles qui osaient l'emp�cher d'entrer dans sa capitale. En outre, il n'avait que de rares fantassins, et ses hommes n'�taient pas entra�n�s � se battre sans leurs montures. La lourde cavalerie dont il disposait n'avait qu'une seule fonction : l'attaque. Dans la situation o� il se trouvait, Louis, qui n'avait plus grand-chose � perdre, avait donc tout int�r�t � prendre des risques. Aussi �tait-il d�cid� � lancer contre vingt-deux mille Bourguignons son ann�e de quatorze mille hommes afin de tenter d'�craser d'un seul coup la Ligue du Bien public et de mettre d�finitivement fin aux dangereuses aspirations des ducs de Bourgogne.

Mais le roi n'�tait pas press�. Entre Etrechy et Montlh�ry, il avait successivement envoy� trois h�rauts � Paris pour transmettre au mar�chal Roualt l'ordre expr�s de sortir de la ville avec tous les hommes qu'il pourrait r�unir et de prendre � revers l'arri�re-garde bourguignonne. Quoiqu'ils empruntassent un chemin d�tourn�, ces messagers devaient pouvoir atteindre la capitale bien avant midi. S'il se h�tait, Roualt serait donc en mesure d'attaquer l'arm�e du comte de Charolais vers le milieu de l'apr�s-midi.

Cependant, l'arm�e bourguignonne commen�ait � s'agiter. Des serpentines, des couleuvrines et autres pi�ces de campagne furent hal�es puis install�es en avant des archers. Les grondements et les cr�pitations de la glorieuse artillerie du comte de Charolais vinrent bient�t �branler l'atmosph�re surchauff�e. Girault de Samien, canonnier de Louis, s'occupait de mettre .en place le modeste arsenal du roi. Ici et l� un boulet de canon venait trouer les rangs de la cavalerie fran�aise, mais de nouveaux hommes avaient t�t fait de venir combler le sanglant sillon creus� par son passage. Dispos�e sur la pente, l'artillerie de Samien commen�a par envoyer ses projectiles par-dessus les t�tes de l'ennemi, mais aussit�t son tir ajust�, elle se mit � son tour � semer la mort dans les lignes adverses. D�j� midi �tait pass�. Entre le bleu du ciel et l'or chaud des bl�s m�rissants, la poudre avait mis une �paisse fum�e. Depuis sept heures du matin, les Bourguignons �taient rest�s en plein soleil sans boire ni manger. Certains d'entre eux avaient fait lever les archers plac�s devant eux de mani�re � cr�er un peu d'ombre. Depuis que les premiers hommes de l'arm�e royale �taient apparus sur la colline, les capitaines du comte de Charolais attendaient impatiemment l'ordre d'attaquer, mais .aucun ordre n'arrivait: en d�pit de toute sa hardiesse, le comte de Charolais, qui manquait d'exp�rience dans l'art de la guerre, se montrait inquiet et h�sitant. De temps � autre, un chevalier de l'un ou l'autre camp sortait des rangs pou engager un adversaire � se battre, et maints "beaux faits d'armes" vinrent ainsi tromper l'inaction des troupes.

Aux environs de deux heures, Louis XI se pr�para � passer � l'attaque. Le mar�chal Roualt ne devait tarder � appara�tre. Le roi r�duisit un peu ses effectifs pour procurer � Br�z� des escadrons suppl�mentaires. Il passait d'un commandant � l'autre, distribuant d'ultimes ordres, d�pla�ant certains d�tachements, expliquant ses plans de bataille, encourageant les hommes. Ce jour-l�, il offrit � ces capitaines de g�n�reuses r�compenses pour leurs bons offices.

Il s'�tait d�cid� pour une attaque roulante. Pierre de Br�z� et l'aile droite lanceraient le premier assaut. Avec la "bataille principale", Louis lui-m�me chargerait ensuite le centre de l'arm�e bourguignonne: il n'attendait pas de ses hommes qu'ils se battent � mort pour un roi qui dirigerait les op�rations de l'arri�re. Il prit soin d'aller une fois encore trouver le comte du Maine et l'engagea � d�ployer la vaillance dont la Maison ,d'Anjou avait d�j� si souvent fait preuve. Son oncle r�pliqua qu'il agirait en loyal serviteur de la couronne. Il devait attaquer le dernier, lui dit Louis, apr�s que Br�z� et lui-m�me auraient livr� combat. Peut-�tre esp�rait-il que, si tout allait bien pour l'arm�e royale, le comte du Maine choisirait de se battre du c�t� du vainqueur en d�pit de ses sentiments.

Lorsqu'il eut regagn� le centre des lignes, le roi descendit de cheval. Tombant � genoux, il pria le Dieu des batailles, d'accorder la victoire � sa cause. Une fois remont� en selle, il put voir que l'arm�e bourguignonne avait amorc� un mouvement d�sordonn� vers l'avant. Aussit�t il donna � Pierre de Br�z� l'ordre d'attendre que l'ennemi se f�t engag� avant de passer � l'attaque.

Au cours d'un bruyant conseil de guerre, le comte de Charolais et ses capitaines avaient finalement d�cid� de prendre position plus pr�s de l'arm�e royale; apr�s quoi, le comte de Saint-Pol, qui commandait la plus puissante division et se trouvait face � la pente la moins rapide, livrerait un premier assaut. Les Bourguignons s'�taient donc mis en devoir d'avancer, mais les profonds sillons comme l'�paisseur des bl�s rendaient leur progression difficile. Lorsqu'ils furent arriv�s � quelques sept cents m�tres de la butte, ils s'arr�t�rent par petits groupes, les uns dans les vignes, les autres dans les champs de f�ves ou de froment.

Apr�s une br�ve pause, Louis put noter, de son poste de commandement, � c�t� du ch�teau, que les hommes de Saint-Pol se pr�paraient � l'assaut. Des escadrons d'arbal�triers mont�s convergeaient maintenant � travers les bl�s vers la haie qui faisait face aux troupes de Br�z�. Ensuite s'�branl�rent lu archers bourguignons, bient�t suivis d'un flot de cavaliers qu'accompagnait le comte de Saint-Pol. D'apr�s le seigneur de Haynin qui se tenait tout pr�s de lui, les arbal�triers, lanc�s Comme ils approchaient de la colline, ils commenc�rent � d�charger leurs armes.

Br�z� attendit que la banni�re grise et rouge de Saint-Pol e�t atteint le milieu de la plaine. Ensuite de quoi il lan�a un signe � ses capitaines. Aussit�t, tournant bride, ses escadrons s'�loign�rent de la haie en remontant la pente. Le comte de Saint-Pol en conclut qu'ils prenaient la fuite et, sans plus tarder, envoya des messagers transmettre cette grande nouvelle au corps principal de l'arm�e bourguignonne. La r�ponse ne se fit pas attendre: bient�t, une foule d'hommes d'armes s'�lan�aient au galop � travers les champs pour rejoindre Saint-Pol.

Mais d�j� les trompettes de Br�z� avaient retenti. Sa cavalerie d�valait la pente � gauche et � droite, contournant la haie en deux corps parfaitement disciplin�s pour disperser les arbal�triers ennemis comme s'il se f�t agi d'un simple essaim de mouches. Puis ce furent de nouveaux coups de trompette, et une nu�e de lances vint se m�ler au combat. Surpris par le soudain assaut des Fran�ais, les hommes de Saint-Pol jet�rent fr�n�tiquement leurs montures en avant et s'en vinrent pi�tiner leurs malheureux archers. Pour ne pas �tre en reste, les Bourguignons demeur�s � l'arri�re abandonn�rent leurs positions pour se pr�cipiter dans la m�l�e, �crasant au passage les mercenaires anglais - "et ainsi ils bris�rent eux-m�mes la fleur ,de leur espoir".

Chacun des deux corps de cavalerie ayant d�pass� la haie chargea vers le centre de l'avant-garde de Saint-Pol. Premier ,sur le champ de bataille, le grand s�n�chal de Normandie entra�na ses hommes � travers les bl�s dans un mouvement formidable. Ne formant plus � nouveau qu'un seul front, ses troupes d�ferlaient maintenant sur l'ennemi. croix �difi�e en hommage au S�n�chal de Br�z�

Enfin le choc eut lieu. Poussant avec d�dain son cheval � travers les rangs bourguignons, Br�z� se trouva bient�t seul � combattre au milieu d'une cohue d'adversaires. Soudain il fut touch� et roula mort sur le sol.

Il n'avait pas donn� sa vie en vain. Sa charge avait ouvert une large br�che dans le front ennemi, semant la confusion au sein de la cavalerie bourguignonne. Ses compatriotes normands, rendus furieux par la perte de leur bien-aim� s�n�chal s'�lan�aient sauvagement dans m�l�e. Les escadrons de l'arm�e permanente - "fleurs des guerriers" selon les propres termes du chroniqueur bourguignon Du Clercq - taillaient sans piti� dans les rangs de l'adversaire � coups de lance, d'�p�e ou de hache.

Habitu�e aux joyeux tournois de la place du march� de Bruges, la chevalerie bourguignonne n'�tait pas faite pour ce genre de combat. Bient�t ses rangs se dispers�rent. Chevaliers et �cuyers firent demi-tour. Entour� de leurs hommes, le seigneur d'Hemeries et le seigneur d'Incey quitt�rent le champ de bataille pour s'enfoncer dans la for�t de P�quigny et prendre la direction de Paris. La puissante arm�e de Saint-Pol se fragmenta en divers groupes, les uns se contentant de reculer, les autres cherchant ouvertement � fuir, l'arri�re-garde donnant elle-m�me le signal du sauve-qui-peut en s'�lan�ant vers la for�t, vers le camp ou vers la route de Paris. A leur tour, le comte de Saint-Pol et les hommes de sa Maison furent entra�n�s dans la d�route.

Les Fran�ais qui avaient particip� � l'assaut se lanc�rent alors � la poursuite de l'ennemi poussant jusque dans la for�t, ou se pr�cipitant � l'attaque du flanc bourguignon. Soudain, les fuyards de l'aile de Saint-Pol se heurt�rent � des d�tachements de cavaliers appartenant au corps d'arm�e central : aussit�t les Fran�ais se jet�rent dans la m�l�e. Des nuages de poussi�re recouvraient d'une poudre l�g�re l'armure des soldats tomb�s dans les sillons.

On �tait en plein milieu de l'apr�s-midi. Les lances du mar�chal Roualt ne devaient pas tarder � appara�tre. Devant la fuite �perdue de l'aile gauche et la confusion qui r�gnait au centre des rangs bourguignons, le roi Louis comprit que le moment �tait venu d'intervenir.

Les trompettes royales retentirent. Entour� de sa garde �cossaise et de son r�giment dauphinois, le roi de France conduisait � l'assaut les gens d'armes qui venaient de faire la campagne du Bourbonnais. Devant eux, le B�tard de Bourgogne, le seigneur de Ravenstein et Jacques, fr�re du comte de Saint-Pol, s'occupaient � mettre en mouvement la masse confuse de la "bataille m�diane". Sur la droite de Louis, quelques lances furent d�tach�es pour assaillir le groupe d�sordonn� des Bourguignons qui occupaient le milieu de la plaine. Avec le reste de sa chevalerie, le roi lui-m�me fon�a droit sur le centre de l'ennemi.

Louis et ses hommes charg�rent les Bourguignons sans ralentir le pas. Au premier choc, les rangs de l'adversaire furent bris�s et les Fran�ais purent p�n�trer au coeur de la m�l�e. Bient�t les Bourguignons se d�band�rent et l'on vit des groupes de cavaliers galoper en direction du camp. Robin Malortie tenta de retenir les hommes du Dauphin�, mais nombre d'entre eux assoiff�s de butin, se lan�aient d�j� � l'assaut des chariots � bagages bourguignons. Le roi ordonna � ses capitaines de reformer leurs rangs avant de regagner prestement la colline. Il ne restait plus maintenant au comte du Maine qu'� attaquer l'aile plac�e sous le commandement du comte de Charolais, tandis que lui-m�me le prendrait � revers, et la Maison de Bourgogne n'inqui�terait plus la France avant longtemps.

Arriv� � la hauteur de Maine, Louis lui dit:

"Avancez, beaux oncles! Montrez dans votre attaque la vaillance angevine !"

Le comte du Maine fit alors signe � ses trompettes, et ses escadrons commenc�rent � descendre la pente de part et d'autre du village et � travers le village lui-m�me. Le roi rejoignit ses gardes � c�t� du ch�teau : en bas, dans la vaste confusion de la plaine, les troupes du comte de Charolais se mettaient enfin en mouvement. Les hommes du Dauphin� et d'autres r�giments avaient abandonn� la poursuite et reform� leurs rangs; cependant, nombre de Fran�ais s'occupaient toujours � piller le camp bourguignon, � ramener des prisonniers, ou encore � chasser la ran�on.

De son poste d'observation, Louis surveillait la bataille lorsqu'il vit les hommes de son oncle abaisser leurs lances pour passer � l'attaque. Cependant, comme le comte du Maine arrivait au bas du village, ses principaux capitaines et lui-m�me commenc�rent � ralentir le pas avant de s'immobiliser compl�tement Des ordres �clat�rent et la haie que formaient les lances reprit sa position verticale. Tandis que les Bourguignons plac�s sous la conduite du comte de Charolais poursuivaient leur avance, les escadrons du comte du Maine firent soudain demi-tour, et, tournant le dos � l'ennemi, se mirent � galoper en direction de la route, entra�nant dans leur sillage le reste des gens d'armes. En un instant, un tiers des forces royales quittaient le champ de bataille "en une vile fuite"

Oubliant qu'il commandait une arm�e, le comte de Charolais se lan�a � la poursuite des fuyards avec plusieurs centaines d'hommes, y compris le jeune Philippe de Commynes. Cependant, aux ordres des capitaines d�cid�s � tirer parti de la situation, ce qui restait de l'aile droite bourguignonne bifurqua vers la gauche pour attaquer la "bataille centrale" du roi qui s'occupait alors de reformer ses rangs.

Accompagn� de ses gardes �cossais, Louis se pr�cipita dans la plaine: en un instant son �clatante victoire s'�tait transform�e en un combat sauvage et incertain. De retour au camp, les valets et les archers bourguignons �taient tomb�s � bras raccourcis sur les pillards fran�ais, qu'ils massacraient � coups de masse. Ralliant autour de lui le restant de ses troupes et les fuyards de l'aile de Saint-Pol, le B�tard de Bourgogne revenait maintenant � l'assaut des escadrons royaux. Tandis qu'il chargeait de front la "bataille centrale" du roi, alors en pleine pagaille, les Bourguignons de la droite attaquaient celle-ci de flanc.

Comme il traversait la plaine pour rejoindre la m�l�e, le roi rencontra des fugitifs appartenant � ses troupes. Les ralliant sous son �tendard, il se pr�cipita avec ses Ecossais � l'assaut des premi�res lignes. Alors que les guerriers du comte du Maine galopaient en direction de la Loire et que le comte de Charolais allait gaiement "chassant", alors que les gens d'armes fran�ais de la droite et du centre s'acharnaient � poursuivre leurs ennemis en fuite, "une bataille cruelle et horrible" d�butait pour le roi de France et pour ses r�giments. En d�pit du m�pris o� il tenait la guerre, le subtil monarque n'�tait plus maintenant que plaies et bosses. Sa couronne et sa vie d�pendaient de sa pr�sence au plus fort du combat. Les artilleurs des deux camps avaient amen� leurs pi�ces jusque sur le champ de bataille. Les boulets de canon taillaient au hasard des rangs de sanglantes tranch�es. Soudain, Louis et sa monture roul�rent sur le sol : le cheval du souverain avait �t� transperc� d'une lance, peut-�tre celle du B�tard de Bourgogne. Aussit�t, les hommes de celui-ci se mirent � crier: "Le roi est mort !" D�sempar�s, les Fran�ais commenc�rent � reculer : maintenant qu'ils n'avaient plus de ma�tres, � quoi bon se faire massacrer.

Cependant, les Ecossais avaient fait cercle autour de Louis. L'ayant remis sur pied, ils lui fournirent une nouvelle monture. Lorsqu'il fut � nouveau en selle, il put constater que ses hommes avaient faibli et comprit ce qui s'�tait pass�. Ecartant les gardes qui se trouvaient devant lui, il s'�cria : "Vous voyez, mes fils, je ne suis pas pris ! Revenez !" Le combat se poursuivait dans un �pais nuage de poussi�re. Au grondement des canons, au cliquetis de l'acier, au claquement des ordres, se m�laient les hennissements des chevaux bless�s et les hurlements triomphants des Bourguignons. Essayant de se faire entendre par-dessus le vacarme, le roi se frayait un chemin � travers ses troupes en criant: "N'ayez crainte ! Aujourd'hui la victoire est � nous !"

Suffisamment d'hommes l'entendirent et le virent pour rassurer les autres. Les escadrons royaux resserr�rent leurs rangs. Dans une atmosph�re irrespirable, cheval contre cheval, poitrine contre poitrine, les hommes taillaient et frappaient sans merci. Jean-Pierre Panigarola, qui contemplait le spectacle du haut de la colline, �tait atterr� : "Ils se battaient, notera-t-il, comme des chiens enrag�s."

Une fois qu'avec ses Ecossais le roi eut bris� l'�lan de l'assaut bourguignon, il rejoignit l'arri�re pour surveiller le champ et ramener les fuyards au combat. Il n'y avait toujours pas trace de Roualt. La sup�riorit� num�rique de l'ennemi commen�ait � inqui�ter Louis; � nouveau, il plongea dans la m�l�e. Ses valeureux gentilshommes dauphinois avaient affaire � forte partie, mais ils se feraient plut�t tuer que de battre en retraite. Cet apr�s-midi-l�, on d�plora parmi eux une cinquantaine de morts et un grand nombre de bless�s. Le b�tard d'Armagnac, mar�chal de France et Robin Malortie se battaient comme des hommes que l'id�e de la mort laisse parfaitement indiff�rents. Sur le front, Louis criait : "N'y en e�t-il que six comme nous contre les Bourguignons, nous vaincrions quand m�me !". Le combat durait depuis longtemps. Partout les Fran�ais tenaient bon lorsqu'enfin la pression se rel�cha. Les premi�res lignes du b�tard commen�aient � reculer ; sur l'arri�re, on se mettait � fuir. Bient�t les Bourguignons disparurent dans un brouillard de poudre et de fum�e dans le but de regagner leur camp.

Louis et ses capitaines prirent alors soin de ne pas laisser leurs hommes se d�bander, mais de les maintenir en ordre de bataille. Une poursuite pouvait avoir des cons�quences d�sastreuses : si elle avait quitt� le champ de bataille, l'arri�re-garde du comte de Charolais n'avait pas pour autant disparu ; par ailleurs, il �tait impossible de savoir combien de Bourguignons avaient rejoint leur camp ou la lisi�re de la for�t; enfin, la trahison de Charles du Maine �tait susceptible d'entra�ner d'autres d�fections.

Malortie, qui souffrait de graves blessures au visage, et les autres commandants de l'arm�e royale parvinrent � retenir le gros de leurs troupes. Ce qui restait de la "bataille centrale" regagna lentement la colline. Les bl�s pi�tin�s �taient jonch�s de cadavres: cadavres de chevaux, d'archers bourguignons aux brillants uniformes, cadavres de soldats d�pouill�s de leur armure. Ayant abandonn� la poursuite, une partie des cavaliers fran�ais s'en vinrent rejoindre les banni�res royales. Louis ordonna � l'artillerie de couvrir la retraite. Dans l'espoir de s'emparer du comte de Charolais, il d�p�cha des escadrons en direction du sud pour couper la route d'�tampes. Fourbue, l'arm�e du roi reprit peu � peu ses positions sur la colline. Il �tait environ sept heures. Si Roualt avait attaqu� l'arri�re-garde ennemie avec, ne f�t-ce qu'une centaine de lances... Mais la route de Paris restait d�sesp�r�ment vide. Proche de l'�puisement, Louis regagna le ch�teau avec ses Ecossais. Pour la premi�re fois de la journ�e, il but et prit un peu de nourriture; apr�s quoi il s'en retourna vers ses hommes.

Cependant, le comte de Charolais revenait sur ses pas. Devant l'insistance de ses vieux capitaines, il s'�tait, bien malgr� lui d�cid� � abandonner la poursuite des fuyards. Entour� d'une quarantaine de cavaliers seulement, il eut, en contournant le village, la mauvaise surprise de voir � la porte du ch�teau la garde �cossaise, dont il �tait s�r qu'elle avait �t� captur�e, et de constater que, en lieu et place de la banni�re de Saint-Andr�, qu'il s'attendait � voir flotter en signe de victoire sur le champ de bataille, il n'y avait qu'un amas de cadavres sur lesquels veillait l'arm�e royale, solidement �tablie au sommet de la butte.

A ce moment-l�, une bande de Fran�ais qui n'avaient pas encore rejoint leurs positions tomb�rent sur le groupe que formaient Charolais et ses compagnons. Quoique moins nombreux que l'adversaire, ils se jet�rent sur les Bourguignons et tu�rent le porte-�tendard de leur chef. Une �p�e fit sauter le gorgerin du comte, lui entaillant la gorge. Couvert de sang, celui-ci se d�fendit avec acharnement. Soudain, l'un des Fran�ais le saisit par les �paules en criant: "Monseigneur, rendez-vous ! je vous connais bien, ne vous faites point tuer". Mais Charolais, qui n'avait nulle intention de se laisser prendre, se d�battit jusqu'au moment o� l'un de ses hommes parvint � s'interposer entre son assaillant et lui. Enfin, les Bourguignons purent s'enfuir, laissant leurs agresseurs regagner la colline.

Traversant la plaine pour rejoindre son camp, le comte de Charolais aper�ut au milieu d'une petite troupe le B�tard de Bourgogne et son enseigne "toute d�pec�e tellement qu'elle n'avait pas un pied de longueur". L'atmosph�re n'�tait pas � la gaiet�: "Je vis telle demi-heure que nous, qui �tions demeur�s l�, n'avions l'oeil que � fuir, s'il f�t march� cent hommes", note Commynes. Lorsque comte de Saint-Pol fut sorti de la for�t avec ses hommes, le comte de Charolais fit rassembler ses pi�ces d'artillerie et ses chariots � bagages, passablement endommag�s par l'ennemi, et les disposa de fa�on � constituer une enceinte � l'abri de laquelle son arm�e serait en s�curit�.

Du haut de la colline, Louis voyait maintenant le cr�puscule tomber sur la plaine o� les troupes bourguignonnes prenaient p�le-m�le leurs quartiers pour la nuit. Roualt n'arrivait pas. Roualt n'avait donn� aucun signe de vie. L'arm�e bretonne allait peut-�tre bient�t appara�tre derri�re lui.

Epuis�es, sanglantes, gorg�es de poussi�re, les deux arm�es avaient d�sormais cess� tout mouvement Pourtant, le canon continua de gronder jusqu'au moment o� les t�n�bres eurent envahi "le champ des larmes"

Louis commanda qu'on allume des feux dans le village tout au long de la cr�te. Apr�s quoi il donna � ses capitaines l'ordre de charger les bless�s dans les chariots � bagages et de pr�parer leurs troupes au d�part Ceux qui avaient perdu leur monture ce jour-l� durent s'en aller � pied. Dans la confusion g�n�rale, on laissa sur place une partie des morts. Le corps du grand s�n�chal de Normandie fut abandonn� sur une liti�re dans la rue du village. Tandis que les feux qui trouaient la nuit laissaient croire aux Bourguignons qu'il leur faudrait encore se battre le lendemain, le roi de France et ses hommes prenaient la route de Corbeil, situ� � dix milles de l�, sur les bords de la Seine. Ils avaient si fort malmen�s les Bourguignons, pourtant trois fois plus nombreux qu'eux, qu'il n'y avait pas � craindre d'�tre poursuivi: Louis XI pouvait marcher vers sa capitale; il avait annonc� sa venue aux Parisiens, il ne d�cevrait pas leur attente.

Si Louis, durant cette chevauch�e, confia ses pens�es au mar�chal d'Armagnac ou � quelque autre de ses compagnons, personne apparemment ne prit soin de les noter. Mais le roi n'avait sans doute pas le coeur � parler, f�t-ce avec son admirateur et ami, Jean-Pierre Panigarola, qui chevauchait quelque part, perdu au milieu des guerriers. Dans l'air de la nuit flottait un cort�ge de regrets.

"Par deux fois j'ai vu l'ennemi vaincu contraint de prendre la fuite", �crivit Panigarola � l'intention de son ma�tre. Si le comte du Maine n'avait pas trahi, "l'arm�e adverse tout enti�re e�t � coup s�r �t� pass�e au fil de l'�p�e ou. Faite prisonni�re".

Et, malgr� la d�fection du comte du Maine, si Roualt �tait arriv� avec trois ou quatre cents hommes avant le coucher du soleil...

Aussi cruel que f�t son d�sappointement, aussi sombres que fussent ses pens�es concernant l'avenir, Louis n'oubliait pas les hommes qui �taient morts pour lui.

" Pour le grand s�n�chal de Normandie [...] le roi ne cesse de s'affliger, nota quelques temps plus tard Jean-Pierre Panigarola et il d�plore chaque jour davantage tous ceux qu'il a perdus... "

Un peu avant minuit, Louis entrait dans Corbeil o� ses hommes allaient enfin pouvoir se reposer.

 
 

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