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Montlhéry, cité millénaire.
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Le danseur de corde de Montlhéry

Cette page est un court extrait de l'ouvrage de contes "Les histoires tombées de l'orme à Martin" de Philippe RAULET (éditions ADELPE)

"Je suis un étranger, homme de peu d'importance. Aucun de vous ne me connaît et je n'ai pas coutume de me joindre aux veillées. Pourtant, permettez-moi ce soir de prendre place parmi vous et faites-moi la grâce de me donner la parole. Que ceux qui voudront bien m'entendre en tirent leçon, à défaut de plaisir.

Le château de Mehun sur YèvreJ'ai résolu de dire la véridique histoire de Guy Troussel, dernier seigneur de Montlhéry, celui que, dans son dos, les gens appellent le danseur de corde. Je n'ai pas l'art du conteur mais j'apporterai la vérité du témoin, témoin si proche de mon triste héros que j'en suis comme l'ombre. Mon nom importe peu. Et ce pourquoi je finis mes jours à Mehun-sur-Yèvre, dans ce lointain Berry, je vous le dirai à mon heure.

Un instant je me tais. J'en vois qui détournent le regard au seul nom du seigneur que je veux évoquer. Qu'ils se retirent, ensuite je conterai, sans m'accorder pause ni distraction, de bout en bout. Que Dieu me vienne en aide.

D'un arbre il convient d'évoquer les racines avant la chevelure, pour un homme la naissance avant les actes. Je ferai vite. Qui ne connaît la lignée des seigneurs de Montlhéry ? Le père de Guy Troussel avait pour nom Milon 1er, mais on disait Milon le Grand, il mérita ce titre, et son père était Guy 1er, dit le Pieux, l'époux d'Hodierne, la dame de Longpont, et son père encore était Thibault le baron, surnommé File Etoupe, à cause de ses cheveux blonds. Tous trois seigneurs de Montlhéry et maîtres du château que domine la tour. Guy Troussel est le dernier des seigneurs de là-bas, pourtant les cloches de Montlhéry ne sonneront pas à sa mort.

Le roi, du temps de File Etoupe, était Hugues, le Capétien. C'est lui qui permit au baron de fortifier son domaine. Sur la colline qui domine le bourg et la grand'route d'Orléans à Paris, il bâtit son château et fit élever la tour. Il aurait mieux valu qu'elle ne se dressât jamais dans le ciel!

Mais je reviens à mon héros. D'abord l'histoire du fils se fond dans celle du père. Milon 1er était un ambitieux, un querelleur, mais un homme fier et valeureux. Il comptait parmi ceux qui tenaient tête au roi. Que serait le roi sans sa couronne ? Son domaine n'est pas plus gros qu'un poing! Du haut de sa tour, Milon tenait la route qui va d'Orléans à Paris. Ce baron là donna du fil à retordre !

C'est alors que survint un moine du nom de Pierre l'Ermite. Les anciens parmi vous l'ont entendu prêcher et se souviennent qu'il levait des armées avec ses paroles, les hommes de Dieu ont les mots pour épée. Sur les parvis d'églises, il criait aux seigneurs : "Allez-vous laisser le tombeau de Christ aux mains des infidèles ?" Quel chevalier digne de ce nom pouvait se détourner ? Le parfum de la guerre, la promesse des trésors d'Orient et l'assurance du paradis échauffaient nos cœurs et cervelles. Milon jura de partir pour Jérusalem. Le fief de Montlhéry, il le laissait aux femmes, emmenant avec lui, en plus d'un frère et d'un neveu, son fils, Guy Troussel, héros de mon histoire. L’un près de l'autre chevauchaient le courage et la honte.

Moi qui fus de si près mêlé à l'aventure, je ne conterai pas les exploits et souffrances des croisés. C'est là le rôle du chroniqueur. Sachez seulement qu'aux portes de l'Asie, dans Constantinople, nous étions un million d'hommes en armes rassemblés, venus de tous les fiefs de la Chrétienté. Nous avons traversé le désert de Phrygie, vêtus de nos lourdes cottes de mailles, sur nos chevaux harassés, le soleil et la soif furent nos premiers ennemis et nous causèrent de terribles pertes. Parmi les chefs, Milon se distinguait déjà par son courage. Son fils, Guy, ne songeait qu'à survivre. Nous arrivâmes enfin sous les murs d'Antioche, que tenaient les infidèles.

Huit mois, nous avons fait le siège de la cité, sous le ciel de plomb. Durant les derniers assauts, les cadavres des chevaliers séchaient au soleil. La ville tomba enfin et, tout chrétien que nous fûmes, nous cédâmes au pillage et à la débauche; puis vint l'ennui, et les premières désertions quand courut la nouvelle que Kergobah, prince de Mossoul, avec trois cent mille hommes, venait nous assiéger à son tour. Bientôt son armée fut en vue tandis que les croisés étaient enfermés dans les murs. Alors se séparèrent les chemins du père et du fils.

Fasse le ciel que mes paroles n'adoucissent ni n'excusent les actes de mon héros. A moi-même qui le suivais comme son double, il se confiait peu. Je ne sais, de la peur ou du regret de son pays, ce qui le détermina. Il traînait le soir sur les murailles, quand l'obscurité le protégeait des flèches des infidèles. Sans doute il mûrissait son plan. Par une nuit sans lune, il prit le chemin des fuyards, le long d'une corde il descendit la muraille d’Antioche. A cet instant se noua son destin. Guy Troussel perdait son honneur et son nom.

Écoutez maintenant, car ce qui suit n'est pas fantaisie de conteur. Il arrive que choses magiques se mêlent à nos actions et que le destin prenne voix pour enchaîner nos actes. Guy Troussel descendait le long de la muraille et la corde lui parla:

- Tu me serres contre toi, te voilà mon ami, le sais-tu ? - je te demande de me conduire en bas, voilà ce que je te demande.

- Tu me serres contre toi, te voilà mon ami, le resteras-tu ? -Qu'est-ce que tu me chantes ? Laisse-moi fuir, voilà ce que je te demande.

- Si tu ne promets pas, je me brise, je me jette avec toi sur les rochers en bas, réponds vite!

- Qu'est-ce que tu me chantes? J'ai serré moi-même le nœud au créneau!

- N'as-tu pas vu les corps des fuyards écrasés sur les roches ? Ils avaient serré le nœud aussi fort que toi, promets vite!

Dans sa peur, il promit. Que vaut la promesse à une corde ?

- Ainsi donc te voilà mon ami! - Oui, laisse-moi atteindre le sol!

Quand Guy Troussel toucha la terre ferme, il changea ses habits et rampa entre les tentes des infidèles. Pourquoi la chance le protégea-t-elle ? Il eût mieux valu que la sentinelle ne dormît pas et qu'elle le tuât! Mais il échappa aux guetteurs, il rejoignit la mer, et sur un vaisseau génois s'embarqua. Vous pensez qu'il avait oublié la corde!

Aux marins, il fit croire qu'il était commerçant, que les brigands l'avaient attaqué et dépouillé de tout. Voilà pourquoi il ne portait qu'une chemise. Et on le crut. Or un matin que Guy demeurait sur le pont il entendit qu'on parlait derrière lui.

- C'est le danseur de corde, chuchotait un marin. - Qu'est-ce que tu racontes ? demandait un autre. - Oui, un fuyard d’Antioche - Qui te l'a dit ?

L’homme de quart, cette nuit, a entendu parler dans les cordages!

- Le danseur de corde! répéta un mousse, en riant.

La nuit suivante, Guy se rendit sur le pont, alla s'asseoir près des cordages enroulés et écouta. Il n'eut pas longtemps à attendre.

- Ton ami est revenu, dit une voix. - Tu entends ? réveille-toi.

- A-t-on idée de faire attendre son ami, surtout quand il est chevalier!

- Je savais qu'il viendrait, dit la corde, il me l'a promis! Peux-tu te mettre à l'écart des autres ? demande le baron.

-Ton ami veut te parler!

-Tu entends ? dépêche-toi

-On ne fait pas attendre son ami chevalier!

- Je t'attends, dit la corde, là, près du bastingage!

Guy Troussel la rejoint. Ils s'entretiennent, à l'écart des autres.

- Je savais que tu voudrais me parler, n'es-tu pas mon ami ?

- Je le suis! Laisse-moi te tenir encore, tu m'as sauvé la vie.

- Si tu me tiens encore dans tes mains, je deviendrai ta fiancée, le sais-tu ?

- Je ne demande qu'à te tenir un instant, en souvenir de la muraille!

- Alors tu seras mon fiancé, promets-tu ? - Puisque c'est ainsi, oui, je le promets!

Guy Troussel saisit la corde.

- Tu es mon fiancé! crie-t-elle. -Eh bien voilà mon cadeau! Il la jette à la mer.

Nuit après nuit, Guy vient s'asseoir près des cordages. On n'y chuchote plus. C'est mieux ainsi. Puis la terre de France est en vue, et le port de Marseille. Personne ne l'y connaît, il le quitte sans encombre et prend le chemin du nord. Il lui tarde de revoir Montlhéry, se réfugier dans les murs du château, y trouver le repos. Il prépare son récit, les femmes le croiront. D'ailleurs qui sait s'il en reviendra de terre sainte ?

Sa mère l'attend, sa femme aussi, qui lui montre sa fille nouvelle-née ; le baron raconte qu'il a échappé de justesse au massacre, que les croisés sont en triste posture, qui sait s'il en reviendra ? Lui a pu fuir sur ordre de son père pour appeler à l'aide. Ce fut miracle et prouesse qu'il échappe ! Les nouvelles du lointain Orient sont rares, on baisse la tête, on le croit. Qui sait s'il en reviendra ?

Or un matin que Guy marchait sur les remparts, il entend des valets chuchoter dans son dos:

- C'est le danseur de corde !

- Qu'est-ce que tu racontes? demande un autre.

- Oui, le fuyard d’Antioche !

- Comment le sais-tu ? - Un palefrenier a entendu parler les harnais et cordages, dans l'écurie. - Le danseur de corde !... dit un jeune page en riant.

La nuit suivante, Guy se rend à l'écurie, s'assied dans le noir, écoute... L’attente ne dure pas.

- Ton fiancé est revenu! - Réveille-toi 1 - On ne fait pas languir son fiancé, surtout quand il est chevalier! - je savais qu'il viendrait, dit la corde. - Peux-tu te mettre à l'écart? demande le baron. - Je suis là, dit la corde, je t'attends dans la forge.

Guy s'assied auprès d'elle ; ils s'entretiennent tous les deux, près du foyer.

-Bonsoir, mon fiancé, je t'attendais. - je t’avais jetée à la mer.. -N'en parlons plus, on ne juge pas son fiancé, on croit en sa parole. J'ai nagé dans le sillage du bateau. - Laisse-moi te tenir encore dans mes mains! - Si tu me tiens encore dans tes mains, je deviendrai ton épouse, le sais-tu ? - je ne demande qu'à te tenir un instant dans mes mains. -Alors je serai ton épouse, promets-tu ? -Oui, puisque c'est ainsi!

Guy saisit la corde.

- Te voilà mon époux! crie-t-elle.

Les braises dormaient sous le charbon, il actionne le soufflet, réveille la flamme et jette la corde dans le feu.

Les nuits suivantes, il veille à l'écurie, près des harnais et cordages. On n'y chuchote plus. Mais à la table du château, les regards se détournent, les femmes ne disent rien, elles savent. A chacun sa souffrance. Et dans les rues de Montlhéry on le montre du doigt.

Alors courut la nouvelle: "Jérusalem est libérée, le tombeau de Christ aux mains des chrétiens et les croisés que la mort épargna, de retour". Milon 1er est de ceux-là, il revient au domaine.

Imaginez les cloches, les hourrah, le cortège accompagnant le seigneur et ceux de sa troupe que Dieu laissa en vie. Il entre dans la grande salle du château ; Lithieuse, sa femme, pleure de joie. Il embrasse et salue chacun, il répond aux questions et montre les cadeaux rapportés d'Orient. Il dit que son fils est mort à Antioche, que, dans la fureur du combat, son corps ne fut pas retrouvé ! Ceux du château baissent la tête. Il ordonne qu'on parle, qu'on lui donne la raison de ces regards, il exige; on le lui dit. Milon ne répond pas, il ferme les yeux, fait signe qu'on le laisse seul et qu'on le fasse venir, lui... il n'ose prononcer son nom. En cet instant Milon a plus vieilli qu'en toutes ses années de croisade.

La rencontre fut brève. Après un instant de silence durant lequel chacun demeurait tête baissée, le père parvint à porter le regard sur son fils. Il demanda:

- Qu'as-tu à me dire ?

Guy n'avait rien à dire; la peur n'est pas une excuse, il préféra se taire. Le père reprit:

- Toi seul sais comment tu dois agir; moi je sais ce qu'il me faut faire. Retire-toi.

Voilà ce qui s'est dit, rien de plus.

Milon ordonna que commencent les réjouissances. Festin, danse, beuverie, musique, numéro des jongleurs et saltimbanques, récit des conteurs qui avaient suivi les héros, rien ne manqua, même les danseuses et fakirs rapportés de là-bas montrèrent leur art et tout cela dura huit jours. Les torches nouvelles s'allumaient aux anciennes, les bûches dans les cheminées reprenaient sur les braises, les servantes ne dormaient pas, Guy Troussel demeurait enfermé dans sa chambre.

Une nuit, qu'il faisait un feu de son dernier fagot et qu'il demeurait allongé sur sa couche sans trouver le sommeil, il entendit qu'on parlait dans les flammes:

- Comme mon époux est triste ! N'a-t-il rien à me dire ?

La corde brûlait dans l’âtre sans se consumer. Guy. détourna la tête, non il n'avait rien à dire.

- Regarde-moi, est-ce que je ne peux rien pour toi ?

Guy détourna encore la tête. Non, elle ne pouvait rien pour lui.

- Disparais à jamais, voilà ce que tu peux pour moi!

- Cela, c'est impossible, puisque tu es mon époux, et la corde continua de brûler pour réchauffer la chambre.

Quand s'achevèrent les festivités, qu'on laissa s'éteindre les torches, refroidir les braises et que les musiciens et conteurs s'en retournèrent après avoir reçu salaire, Milon avertit sa femme:

- Je partirai cette nuit même, n'en avertis personne, je retourne en terre sainte, le tombeau de Christ est encore menacé, ainsi je vengerai l'affront fait à mon nom et à la chevalerie, voilà ma décision.

Il enfila sa cotte de mailles que les artisans finissaient juste de rapiécer, fit seller son cheval, rassembla trois écuyers, parmi ses fidèles. Dans la nuit il prit la route d'Orléans et partit vers le sud. C'est ce que fit Milon le Grand pour venger son honneur, sans plainte ni malédiction.

Quand la nouvelle se sut dans les échoppes de Montlhéry, chacun comprit de quoi il retournait. "C'est à cause de son danseur de corde, dirent les gens, le fils trahit, le père en paie le prix. Est-ce bien juste ?" et ils se signaient. Quant au danseur de corde, il fuyait souvent le château pour d'interminables chasses ; ceux qui l'accompagnaient étaient de son engeance car les seigneurs dignes de ce nom lui fermaient leurs portes.

Milon refit le terrible chemin de l'Orient, rejoignit ceux qui combattaient encore, sans rien dire de sa raison secrète, et chacun s'étonnait de son ardeur. "Quelle revanche doit-il prendre ?" demandaient ses compagnons d'armes.

Il vous souvient de la bataille de Ramelah ? Milon était de ceux qui conduisirent les troupes chrétiennes. De tout le jour, il ne descendit de sa monture. Trois flèches l'atteignirent, il frappait encore! Mais il alla si loin dans les rangs de l'ennemi qu'on ne put rien pour lui. Les infidèles le firent chuter et le tinrent prisonnier. Pas pour longtemps, il succomba à ses blessures. Son corps fut abandonné dans les sables de Palestine. Ainsi finit le père de mon héros et la nouvelle de sa mort parvint à Montlhéry.

Quand Guy Troussel rentra cette fois au château après une de ses chasses, il vit une troupe venir au devant de lui, portant bannière, et lui faire escorte jusqu'aux murailles, car le voici seigneur de Montlhéry. A contrecœur on lui fait allégeance, on lui souhaite longue vie, mais les regards se détournent, personne ne pense ce qu'il dit, hormis sa racaille de compagnons.

Le soir du festin, nul ne reste plus que ne l'exige le devoir, chacun trouve une bonne raison, la table du danseur de corde est désertée, les convives n'ont pas touché aux pièces de viande grillée et le vin tourne dans les gobelets. Les lévriers posent leurs deux pattes sur les bancs et tendent le cou pour fouiller dans les plats. Les chiens sont les seuls hôtes du nouveau seigneur.

Quand Guy Troussel vit cela, il brisa son verre sur les dalles :

- A quoi bon être seigneur, hurla-t-il, si tous m'évitent! - De quoi se plaint mon seigneur? Il n'est pas seul, son épouse est près de lui.

C'était la corde bien sûr. Elle était venue s'enrouler à ses pieds.

- Pourquoi ne m'as-tu pas laissé me briser aux pieds des murailles d’Antioche ?

- Tu avais promis, répondit-elle. - Pour avoir la vie sauve!

- Qu'importe, une parole est une parole. Moi, je t'ai suivi comme une fidèle épouse, et fermé les yeux sur tes trahisons. Un jour, c'est toi qui me chercheras. Sois sans crainte, je ne te ferai pas attendre.

Ce furent les mots de la corde et un page qui passait devant la porte de la salle entendit le dialogue. "Avec qui parle le nouveau seigneur?" se demanda-t-il, mais ne voyant personne, il se boucha les oreilles et partit en courant.

Le vin que l'on boit seul avive la tristesse, Guy se leva, alla jusqu'à la tour et monta l'escalier. Parvenu en haut, il enjamba le créneau:

- Ce n'était pas la peine de sauver ma vie, puisque me voilà dans un désert!

Mais la corde s'était enroulée plus vite que le vent à l'un de ses poignets et l'autre bout, à une pierre de créneau:

- Je veille sur mon époux ; il ne faut pas qu'il me quitte! Jamais il n'a porté les yeux sur moi! - Folle ! cria Guy et il dut renoncer.

Dès lors il rassembla ses compagnons de chasse, ceux de son engeance, seigneurs brigands, seigneurs voleurs. "Me voilà maître de Montlhéry et de sa tour, le roi verra de quoi est capable son danseur de corde!" Et puisque le château domine la route qui va d'Orléans à Paris, Guy Troussel attaqua les attelages, rançonna les voyageurs, tua ceux qui se défendaient. Le père était rebelle, le fils fut brigand. Il ne faisait plus bon gagner Paris par cette route et le roi se désolait : "De tous les seigneurs qui se dressent contre moi, celui de Montlhéry est le plus terrible. Il est trop fort, à l'abri de son château, comment lui faire entendre raison ?"

Un de ses conseillers lui suggéra un plan: "Prendre le château de force nous coûterait trop cher. Par contre le danseur de corde est comme un loup terré dans sa tour, la solitude le ronge et le remords aussi -il disait vrai ! Proposons une alliance. Il n'a pas de fils, sa lignée s'éteindra avec lui et il vaut mieux ainsi. Offrez-lui le mariage de votre fils bâtard avec sa fille unique, Isabelle, contre quoi il cédera le domaine de Montlhéry à la couronne. Nous lui trouverons une petite seigneurie lointaine où il finira ses jours, le danseur de corde est trop seul pour refuser, l'offre le flattera -il disait vrai! " Tel fut le plan du conseiller.

Et quand vint l'ambassade royale, Guy Troussel pensa: "Le roi me prend en considération, il va festoyer auprès de son danseur de corde pour les noces! Marché conclu!" Guy Troussel était las, trop las pour demander davantage.

Après les noces, il quitta le château et se retira... Qui se souvient de l'endroit où il vit, qui se souvient même qu'il vit encore ? Un soir qu'il était seul, il pensa à la corde et l'appela. Elle vint aussitôt. Il la regarda.

- Je n'ai plus rien à espérer. Tu avais raison, tu devins ma seule amie, du jour où j'ai trahi. Je suis le danseur de corde. Maintenant je puis le voir en face sans révolte ni plainte. Je me regarde comme un caillou qu'on observe au bord du chemin. Qu'attends-tu de moi ?

- Je n'attendais que ces mots, dit la corde. Maintenant je disparais pour toujours.

Ici s'achève l'histoire de mon héros. Pour la première fois depuis la nuit d’Antioche, il pleura des larmes sur lui-même et connut un moment de paix. Puis il sortit, cherchant quelque compagnie, et frappa à la porte d'un manoir où l'on veillait et là, il demanda à prendre la parole.

Guy Troussel est mon nom et je finis mes jours à Mehun-sur-Yèvre, dans ce lointain Berry. Qu'un conteur prenne ma place maintenant pour un récit moins triste..."

 
 

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Dernière mise à jour : 27.03.02 15:20