Montlhéry, cité millénaire.
Aujourd'hui :
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LA TOUR DE MONTLHÉRY Par Auguste VILLIERS (III)
Résumé des chapitres précédents
: André Pichot est venu demander la main de sa cousine Rose
à son oncle Sainfoin. Pour consentir à l'épouser,
la belle lui lance le défi de retrouver le puits de la Tour
de Montlhéry ... André s'exécute et avec un
groupe d'amis il entreprend, au grand dam des autorités,
de vastes terrassements sur le plateau de la Tour. Après
plusieurs jours de labeur, un éboulement vient de se produire
...
III
Huit jours s'étaient encore écoulés, et grâce
aux habitants de la ville et à de bons et véritables
architectes, le puits fut sondé et échelonné
de manière à ce qu'on put y descendre. Le résultat
fut qu'il y avait 40 pieds d'eau et 220 de profondeur. La ville
recula devant les frais d'un puits artésien et le travail
commencé en resta là.
Quoi qu'il en soit, André Pichot, nouveau Colomb, avait
fait sa découverte aussi se présentait-il chez son
oncle Sainfoin plus fier, plus radieux et plus empressé encore
que la première fois.
Les trois personnages du jour de l'an encore là, et pour
ainsi dire dans la même attitude.
On parlait sans doute de Pichot chez le père de la charmante
Rose, car à son entrée, un silence embarrassé
régnait, et chacune des personnes semblait avoir arrêté
sur le bord des lèvres une parole prête à s'échapper.
Pichot salua son oncle, embrassa sa cousine, fit un signe quelque
peu protecteur à Charles Girard, et s'adressant au premier
s'expliqua en ces termes :
- Mon oncle, il y a trois mois, je vins vous faire une demande
qui, m'avez vous dit, vous souriait, si votre fille consentait à
m'accorder sa main qui en était l'objet. Ma cousine, si j'ai
bonne mémoire, ne refusa point, au contraire, seulement elle
mit une condition à mon bonheur. Quelque difficile à
contenter que fut son désir, j'y ai satisfait et je viens
renouveler la demande que je vous ai faite de la main de ma cousine
Rose.
Un nuage passa sur le front de l'amoureux Charles.
Un sourire ironique fit seul voir que Rose avait entendu les paroles
de son cousin.
L'oncle Sainfoin, triste et sérieux, poussa un soupir et
répondit à son neveu.
- André, mon garçon, ta persévérance
et ton courage parlent en ta faveur et me flattent; si j'étais
le maître absolu du bonheur de ma fille, je la forcerais à
t'épouser; mais la chose est délicate et mérite
que l'on y prête attention, et si l'on fait une sottise en
pareille circonstance, il vaut mieux que ce soit la partie intéressée
qui la fasse elle-même : afin de n'avoir de reproche à
faire à personne
Que ma fille réponde donc.
Rose se leva :
- Mon cousin dit-elle en souriant au pauvre Pichot, comme pour
adoucir l'effet du coup qu'elle allait lui porter, je suis prête
à tenir ma promesse; mais vous le dirai-je, une autre folie
m'est passée par la tête depuis quelque temps et je
crois que si vous voulez me vaincre tout à fait il faudra
vous y soumettre.
- De quoi s'agit-il ? dit Pichot se regorgeant, et que faut-il
faire ?
- Vous savez, poursuivit Rose, que les élections des représentants
du peuple vont se faire le mois prochain; portez-vous candidat,
et je consentirai alors à être l'épouse d'un
député de la nation.
André sourit à son tour; il pensa que cette fois
il lui serait plus facile d'accomplir ce gage que le premier; ne
jouissait-il pas d'une récente popularité ?... N'avait-il
pas acquis l'estime de tous et la faveur publique ?... Et d'ailleurs,
ce voeu de sa cousine ne répondait-il pas à ses idées
de grandeur et de vanité
Aussi, confiant dans son génie,
comme la première fois, il jeta un regard de défi
à son rival immobile dans son coin et sorti.
Dès le lendemain, Pichot, qui avait déjà,
fait sa profession de foi, montait à la tribune et expliquait
à ses concitoyens ses idées et son ambition. Il eut
le malheur de faire ce que font presque tous ceux qui montent les
degrés de la grandeur, il choqua les gros et éclaboussa
les petits... Sa popularité tomba comme elle s'était
faite, en une heure ! avec cette différence, toutefois, qu'elle
s'était élevée sur des faits et qu'elle tombait
par des paroles. Et puis les paysans n'aiment pas celui qui sort
de sa sphère : "Je suis ce qu'était mon père,
disent-il, honte et malheur à celui qui pense autrement".
Pichot reparu au club : il fut sifflé; il n'en envoya pas
moins des adresses à tous les comités du département
avec l'espoir certain d'être élu, malgré l'intrigue
et la cabale dont il se croyait poursuivi.
Le grand jour vint, Pichot se rendit à la mairie de Linas
pour voter. Là, il pérora encore, plusieurs vinrent
lui serrer la main. La veille, il avait donné un dîner,
aussi avait-il ce jour-là quelques amis.
Cependant, le scrutin dépouillé, le résultat
connu, Pichot resta confondu en apprenant qu'il n'avait eu qu'une
seule voix, la sienne !... Furieux et inquiet tout à la fois,
il courut à Montlhéry, on lui communiqua la liste
où il pu lire après son nom le chiffre 1. La voix
de son oncle sans doute... Les bras du malheureux candidat tombèrent
le long de son corps et triste, abattu, honteux, il allait regagner
le chemin de son logis, lorsque son attention fut fixée par
un papier que le secrétaire de la mairie venait d'afficher
dans le cadre des publications.
Voulant cacher son trouble aux regards curieux, il profita de cette
circonstance et s'approcha du tableau
Les premières lignes furent celles-ci :
"Aujourd'hui 9 avril 1848, première publication de
mariage entre Charles Girard... et Mlle Rose Sainfoin, fille de...".
L'infortuné Pichot n'en vit pas davantage, sa vue se troubla,
des larmes parurent prêtes à tomber de ses yeux, il
poussa un cri et s'enfuit à toutes jambes, au grand ébahissement
de ceux qui se trouvaient près de lui.
Chapitre II Chapitre
IV
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