Le château de Montlhéry (5)
SOMMAIRE
4.
ESSAI DE RECONSTITUTION
4.1. But de la restitution
Comment était-ce ? Inlassablement, c'est ce que cherchent à comprendre,
à voir, à expliquer, à montrer tous ceux qui, de prés ou de loin,
viennent à Montlhéry, du simple visiteur à l'archéologue.
Parmi les passionnés du château, il en est qui se sont attachés
à son observation, son étude sur le terrain, et qui ont tenté d'en
donner la reconstitution.
L'état délabré de la forteresse ne facilite pas la restitution
du site castral. Donc tout travail de reconstitution devait s'appuyer
d'une part sur des sources fiables et d'autre part sur des comparaisons
architecturales d'autres châteaux forts contemporains.
Les sources de première main concernent tous les plans précis relevés
par les topographes et les architectes responsables de la conservation
de Montlhéry. Ces sources graphiques doivent être complétées par
les sources écrites décrivant le château de Montlhéry. d'une façon
fidèle, c'est à dire sans laisser place à l'imagination.
Les comparaisons architecturales sont nécessaires pour avoir une
idée de la disposition et de la forme des construction disparues.
La reconstitution d'éléments disparus peut donc se faire par analogie
avec d'autres monuments moins détruits ou plus connus par les textes.
Malgré cette parenté des formes architecturales de châteaux forts
de même famille régionale et chronologique, il subsiste toujours
une part d'improbabilité. Il peut exister des variations architecturales
entre châteaux apparentés.
L'époque de construction peut également guider la restitution.
Mais pour Montlhéry, de l'an 1200 à 1400, le château est en constante
évolution, soit par reconstruction, soit par remaniements successifs.
Avant tout essai de restitution, il faut donc cerner les différentes
étapes architecturales de la forteresse. Un programme de Conception
Assistée par Ordinateur est assez souple pour faire face à ce problème
; à savoir la restitution de chacune de ces étapes. De tels logiciels
de C.A.O. ont déjà été utilisés pour la restitution d'autres ensembles
archéologiques : la reconstitution de l'abbaye de Cluny, du temple
égyptien de Karnak, du donjon roman de Loches (Indre et Loire),
du port de Harfleur par exemple.
L'informatique, bien que pratique, n'est pas infaillible. Elle
traite les données fournies par l'utilisateur, ces données ne sont
toujours pas fiables. Ainsi pour le château fort de Montlhéry, il
manque trop de document pour restituer le couronnement des courtines,
des tours, et l'aspect des bâtiments de la cour intérieure. Comme
le dit Jacques Téaldi : "Il est certain qu'au travail méthodique
et scientifique de recherche de "témoins" ou de témoignage
indispensables pour toute restitution, s'ajoute une part d'imaginaire
ou de création ; mais la restitution seule, a le pouvoir magique
de l'évocation.".
4.2. Sources et bibliographie
4.2.1. Sources manuscrites et imprimées
Seules les informations précises sur l'aspect du château de Montlhéry
furent retenues. L'unique document trouvé répondant à cette condition
est le procès-verbal d'expertise du 23 mars 1547 dressé par les
experts royaux. Cet article est riche d'information sur la disposition
des bâtiments intérieurs et des basses-cours multiples. Ce document
d'archive est actuellement conservé dans le fonds de Noailles aux
archives départementales des Yvelines.
Aucune source imprimée ne décrive la forteresse de Montlhéry. Toutes
les sources compulsées se contentent de la citer au plus fort des
moments historiques dans lesquels elle a joué un rôle.
4.2.2. Bibliographie
Les premiers écrits relatant l'aspect possible ou fortement probable
du château-fort datent du siècle dernier. André Duchalais décrit
la forteresse avant son délabrement en 1591. Mais malheureusement
son discours ne s'appuie sur aucune preuve. Jules Payen écrit une
intéressante "Notice sur Montlhéry" en 1883.
Son travail s'appuie sur des fouilles menées sur le site castrale.
Malgré l'intérêt que peuvent apporter ces travaux, ceux-ci restent
incomplets sur bien des points. Il faudra attendre le vingtième
siècle pour voir apparaître l'archéologie castrale. Ce renouveau
apporte une bibliographie plus étoffée et, surtout, une méthode
scientifique qui faisait auparavant défaut. Ces travaux peuvent
servir de base à toutes comparaisons architecturales, nécessaires
à tous essai de reconstitution.
Afin d'effectuer des comparaisons pour reconstituer la place-forte,
les monographies et les articles de André Châtelain et de Jean Mesqui
ont été utilisés, sans oublier les travaux des autres spécialistes
en archéologie castrale comme, Jacques Téaldi, ...
4.2.3. Sources graphiques
Sont présentées ici les sources graphiques utilisées pour la reconstitution
du château-fort. Ils sont irremplaçable pour ce genre de travail.
Il apparaît utile de distinguer successivement les plans, les dessins
et les estampes.
4.2.3.1. les plans
Seul les plans d'architectes responsable de la restauration et
de la conservation de la tour de Montlhéry furent utilisés pour
leurs grandes précisions dans les mesures..
Les plans d'architectes proviennent pour la plupart de la Bibliothèque
du Patrimoine qui conserve les dessins réalisés par les architectes
chargés de la restauration de la forteresse depuis que celle-ci
a été classée monument historique en 1842. C'est ainsi qu'entre
1843 et 1878 se sont succédés Hector Labrouste (1843), Bléry (1869)
et enfin Naples en 1878. Dernièrement, Mr Dominique Larpin, architecte
en chef des monuments historiques, a dressé le plan du donjon en
1995.
4.2.3.2. les dessins et estampes
Ils constituent la plus vieille documentation graphique sur Montlhéry.
Le dessin le plus ancien est une enluminure tirée des "Très
riches heures du Duc de Berry " montrant le château de Montlhéry
à l'arrière plan sans démantèlement apparent.
Les ruines du château apparaissent aussi sur "la topographie
Française" de Claude Chastillon dans une gravure intitulée
"Le chasteau et antianni ruisne de Montlellry". Cette
gravure apparaît sur les éditions de 1641 et 1648 de son ouvrage.
Ces dessins furent exécutés en 1604 ou en 1610, les historiens en
discutent toujours la date.
Au dix-neuvième siècle, un nouveau support de diffusion apparaît
: la carte postale. Deux cartes postales représentent la reconstitution,
fantaisiste, du château de Montlhéry avant sa destruction. De nos
jours, Mr Nicolas Payen a proposé lui aussi une restitution graphique
de la forteresse avant son démantèlement.
4.3. la restitution
4.3.1. Les phases architecturales reconstituées
En
faisant la synthèse de toutes les informations exploitées, qu'elles
soient historiques ou architecturales, trois grandes phases d'évolution
du château-fort de Montlhéry purent être retracées. La première
concerne le château Philippien, la seconde la forteresse sous le
règne de Saint Louis et la dernière le site castral au quatorzième
siècle pendant la guerre de Cent Ans. Il s'agit d'une véritable
résurrection de Montlhéry dans l'espace et le temps.
4.3.2. Les reconstitutions
4.3.2.1. Le château fort Philippien
La reconstitution de la forteresse de Philippe Auguste s'est bornée
à la reconstruction de l'enceinte, des tours, de la porte d'accès,
et des bâtiments de la cour intérieure. Le plan de l'enceinte conservé
à la bibliothèque du patrimoine servit de modèle pour une reconstitution
en deux dimensions, étape nécessaire avant tout travail en trois
dimensions. Les autres plans en élévations des ruines servirent
de référence pour la projection en trois dimensions. Mais à cause
de l'état dégradé de ces derniers, plusieurs problèmes se sont posés
lors de cet essai de restitution.
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Le premier problème concernait la hauteur
et la disposition des courtines. Aucune source ne décrive celles-ci.
On sait seulement qu'elles avaient une hauteur d'environ huit
mètres depuis le fossé extérieur. Mais cette hauteur concerne
seulement les deux courtines reliant les tours flanquantes à
la tour maîtresse. Pour la reconstruction des autres courtines
cette hauteur de huit mètres fut arbitrairement retenue. Pour
la disposition des hauts des courtines et du chemin de ronde,
Le parapet munit de créneaux fut choisi. Ce choix, qui peut
paraître partial, est motivé par la lecture des monographies
des savants s'intéressant à l'architecture militaire Philippienne.
André Châtelain déclare que l'enceinte des châteaux royaux est
pourvue d'un chemin de ronde crénelé continu.
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La seconde difficulté provenait des tour
flanquantes, ou "tournelles" selon la terminologie
du treizième siècle. Seule la tour Nord offre assez d'éléments
architecturaux pour une restitution plausible . Comme les autres
tours ont , aussi, à peu prés le même diamètre et la même épaisseur
de parois, il fut considérer que celles-ci sont construites
de la même façon. Dans un premier temps, les quatre tours furent
construites avec une hauteur correspondant à deux niveaux. Ces
deux étages apparaissent sur la tour Nord. La disposition du
haut des tours est inconnue, là, aussi il faut faire appel aux
spécialistes. Jean Mesqui cite le devis de construction (cartulaire
de Philippe Auguste) concernant les "tournelles" de
Montargis ; il y est écrit : "Elles (tours flanquantes)
auront un parapet et un crénelage au-dessus du mur." La
terrasse crénelée sera donc choisie pour la reconstitution des
quatre tours flanquantes.
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La tour maîtresse de Montlhéry, sous le règne de Philippe Auguste,
avait son hauteur qui était la moitié de celle actuelle. Il faut
faire abstraction des quatre derniers niveaux et de l'escalier à
vis hors oeuvre. La restitution concerne seulement les deux premiers
niveaux voûtés attribués à Philippe II. Malheureusement, la terminaison
sommitale de la tour reste inconnue. Il y a de grande chance pour
que le haut de la tour soit disposé en terrasse équipée en chemin
de ronde. Pour Jean Mesqui, les tours maîtresses Philippiennes étaient
toutes surmontées par un sommet en terrasse. Par ailleurs, il est
écrit dans un poème daté de 1250 qu'un dénommé Adnés a composé :
"Mainte tour, mainte sale, et mainte chamenée ; Vit de Montlhéry
la grant tour crénelé ".D'après cette poésie, il semblerait
bien que le troisième niveau de la tour ait été une terrasse équipée
d'un crénelage. Sinon, un toit en poivrière, plus visible que des
créneaux, aurait été décrit par le poète.
La porte- châtelet dessinée par Claude Chastillon ne fut pas reprise
ainsi dans la restitution. Dans la gravure, elle est équipée d'un
mâchicoulis qui apparaîtra bien plus tard que le début du treizième
siècle. Il fut arbitrairement décidé que celle-ci aurait la même
hauteur que les tours flanquantes et la même disposition sommitale
:un crénelage.
Les bâtiments intérieurs furent le plus grave dilemme à résoudre
: quelles étaient leurs exactes dimensions et leurs dispositions
par rapport au château-fort ?
Pour ces ensembles architecturaux ( la grande salle, la cave et
la galerie), la restitution est purement indicative et les dimensions
utilisées purement arbitraire.
Par exemple, il fut donné à la grande salle la hauteur d'un bâtiment
à deux niveaux. Ce choix fut déterminé par la présence d'un soc
de maçonnerie le long du mur des salles. Cette excroissance est
sans doute le témoin d'un escalier disparu qui desservait l'étage
supérieur du bâtiment. Le degré de probabilité de l'existence d'un
second niveau est renforcé par la présence des restes de colonnes
du premier niveau qui soutenaient le plancher de l'étage supérieur.
Le bâtiment fut doté de hauts pignons à l'image des logis des châteaux
royaux de Yévre-le-Chastel (Loiret) et de Dourdan (Essonne).
D'après les observations de terrain, la cave devait sans doute
être couverte par une construction avec un appareil régulier. La
cave fut couverte, pour la restitution, d'une pièce à un seul niveau.
C'est la galerie sur arcade qui posa le plus de problème, si son
existence est prouvée par les textes et les gravures, aucune ruine
visible ne subsiste d'elle pour indiquer ces limites. Pour des raisons
logiques, la galerie sur arcade fut reconstituée de manière, à mettre
à couvert le puits des impuretés de toutes sorte que pouvait jeter
l'ennemi, à protéger l'accès des tourelles qui flanquaient la courtine.
Elle fut restituée avec son premier niveau sur arcades et le second
aménagé en comble. La hauteur de cette construction ne dépasse pas
le haut des courtines comme sur la gravure de Claude Chastillon.
4.3.2.2. la forteresse sous le règne de Saint
Louis
Le château fort Philippien ne devait pas offrir de grandes différences
architecturales avec la place forte du milieu du treizième siècle.
L'évolution architecturale de cette époque consistait à l'application
systématique du concept de Philippe Auguste de l'architecture militaire
dans l'aire royale. Même certains vassaux du roi adoptaient cette
formule. Par conséquent, par sa position de précurseur, le château
de Montlhéry n'a pas connu de remaniement. La seule différence avec
la forteresse originelle vient de l'adjonction de la chapelle Saint
Louis en 1254.
Cette édifice religieux est situé è l'extérieur de l'enceinte castrale.
Il est relié à celle ci par un mur enjambant le fossé. Si on connaît
l'aspect de la construction par la gravure de Claude Chastillon
et son plan par Nicolas Payen, les dimensions exactes de son élévation
restent inconnues. Arbitrairement, pour sa restitution, une hauteur
correspondant à un niveau, plus la toiture, fut choisie.
4.3.2.3. la place -forte à la fin du quatorzième
siècle
La
forteresse de Montlhéry pour faire face aux contraintes de la guerre
de Cent Ans fut remaniée. Ses fortifications n'étaient plus aptes
à faire face aux sièges menés au quatorzième siècle. Sa modernisation
concerna la tour maîtresse, les tours flanquantes et la porte-châtelet.
Le donjon fut rehaussé de quatre niveaux et muni d'une galerie
équipée de mâchicoulis sur console, une tourelle à escalier à vis
hors oeuvre reliant ses nouveaux niveaux. Par chance, il existe
des plans d'architectes qui retracent ses étages. Grâce à cela la
reconstitution en fut facilitée. Grâce à la gravure extraite des
"Très riches heures du duc de Berry" , on connaît
la nature de la couverture du sommet de la tour. Celle ci était
coiffée par un toit en poivrière. Cette disposition est aussi confirmée
par les textes ; le procès verbal du 23 mars 1547 dit: : "Le
comble de charpenterie est couvert en ardoise et plomb".
Mais, aucun plan n'indique la hauteur de ce toit. La toiture dessinée
sur la restitution de Nicolas Payen fut choisie arbitrairement pour
la représentation en trois dimensions.
La même démarche intellectuelle fut appliquée pour la restitution
des tours flanquantes. En effet, celles-ci sont couvertes par un
toit conique, comme le montre bien l'enluminure des "Très riches
heures du duc de Berry".
La gravure de Claude Chastillon montre le dernier niveau de la
porte-châtelet équipé de mâchicoulis.
Mais l'emploi des mâchicoulis se développa à la fin du quatorzième
siècle. Il est probable que ce dernier niveau fut rajouté pour augmenter
le potentiel défensif de la porte. Il fut choisi de donner à ce
niveau les mêmes dimensions que celles des étages inférieurs.
4.4. Conclusion
Ce travail de restitution, réalisé par C.A.O., s'avère utile pour
gérer un ensemble architectural complexe qui évolue dans le temps
et l'espace, tel que le site castrale de Montlhéry. L'informatique,
par sa capacité de traiter les informations rapidement et quasi
instantanément, est un outil bien plus souple qu'une planche à dessin.
L'informaticien n'a pas a recommencer à chaque fois ses plans pour
montrer l'évolution architecturale du site qu'il veut reproduire.
Cette souplesse de travail ne doit pas cacher la difficulté du
dessinateur a restituer des édifices disparus, pour lesquels subsistent
peu ou aucune source quelconque. Dans cette situation, le dessinateur-informaticien
est aussi désemparé que le dessinateur classique. Ainsi, pendant
le travail sur la forteresse de Montlhéry, les mêmes problèmes concernant
la nature du couronnement des tours et des courtines ont été rencontrés
que ceux rencontrés par Jacques Téaldi dans ses restitutions graphiques
de forteresses.
En résumé, malgré l'utilisation des puissantes capacités de traitement
de l'informatique, le dessinateur est toujours dépendant de ces
sources. La restitution du château de Montlhéry, par ses lacunes
documentaires, ne peut-être que considéré comme un essai de représentation.
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