Montlhéry, cité millénaire.
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Montlhéry sous Henri IV, d'après Claude Chastillon (2)
Par Jeannine GAUGUÉ-BOURDU - Bulletin monumental 1981
Introduction
Historique
Commentaire
ponctuel des gravures
Commentaires
centrés sur la gravure 22
Commentaires
centrés sur les gravures jumelées
Problème
des proportions
Conclusion
Références
Historique
C'est bien exceptionnellement que Claude Chastillon représente
trois aspects différents d'un même site. On peut souvent trouver
dans le titre des gravures de la Topographie française la
motivation du travail : relevé topographique, restauration récente,
édifice nouvellement bâti... Ici, sur la vue d'ensemble du village
de Montlhéry, la mention " passaige notable "
suggère que le dessinateur a été motivé par le caractère stratégique
du lieu. La forteresse, qui contrôle la route d'Orléans, est
une des " clefs de Paris " (4) et figure
à ce titre dans le Theatrum Urbium de Georges Braun (1582)
qui utilise un dessin de Hoefnagel de 1561 (fig.
3). Sa position stratégique en fit un enjeu capital de la politique
des rois capétiens, d'où son histoire tourmentée (5).
C'est Pépin le Bref qui, en 798, avait fait donation du Mont Aetricus
à l'abbaye de Saint Denis qui l'échangea assez rapidement avec l'archevêché
de Paris (6). Celui ci le céda, à la fin de l'époque carolingienne,
à des chevaliers feudataires dont le premier connu est Thibault
File-Étoupe. Forestier de Hugues Capet, puis de Robert le Pieux,
il obtint de ce dernier la permission de fortifier Montlhéry (7).
Les fortifications du château furent élevées, dit-on, vers 1015
et la plupart des auteurs, s'appuyant sur un texte de Suger, assimilent
la Tour de Montlhéry à cette première construction.
Fig. 1 - Gravure du bourg
et château de Montlhéry.
Dessin de Claude Chastillon, "Topographie française",
Ed. 1641 et 1648, Folio 12
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Philippe Ier, comprenant toute l'importance de la position stratégique
du lieu, obtient enfin, enfin, en 1104, après plusieurs tentatives,
la cession de la place. " Sois bien attentif à conserver
cette Tour d'où sont parties des vexations qui m'ont fait presque
vieillir " (8), recommande le roi à son fils, le futur
Louis le Gros. Mais ce n'est qu'en 1118 que Montlhéry est définitivement
réuni au domaine royal après que Louis VI, exaspéré et préfigurant
Henri IV, eut fait détruire toutes les fortifications à l'exception
de la Tour.
La châtellenie est désormais gouvernée au nom du roi par des prévôts
et cela jusqu'en 1529. On a mention de séjours royaux tout au long
de cette période : Louis VII y vient plusieurs fois avec Suger.
Il fonde l'Hôtel-Dieu (1160) dans le bourg et la chapelle
Notre-Dame du Mont Carmel, voisine, qui deviendra l'actuelle église
de la Sainte-Trinité, indiquée en F sur la gravure du bourg
(fig. 1).
Le château représenté par Chastillon a-t-il été construit par Louis
VII, qui meurt en 1180, ou par son fils, Philippe-Auguste (1180-1223),
qui réside très souvent à Montlhéry (9) ? Saint Louis y séjourne
plusieurs fois pendant sa minorité ; il se serait réfugié dans un
souterrain du château en 1227 pour échapper ainsi que sa mère, à
des rebelles. Il y revient à son retour de la croisade de Damiette
et fait élever, dans l'avant-dernière enceinte, la chapelle qui
portera son nom (10) ; elle figure en F sur la gravure 22
de Chastillon (fig.
2). Prise et reprise pendant la guerre de Cent Ans par chacun
des partis, puis brûlée par les Anglais en 1360, la forteresse revient
à Charles VII en 1436. En 1465 a lieu sous ses murailles la
fameuse bataille, rapportée par tous les chroniqueurs après
Comines, entre Charles le Téméraire et Louis XI. Elle subit également
plusieurs sièges ; on en compte douze jusqu'à son démantèlement,
ce qui prouve son très bon état de défense.
Fig. 2 - Gravure du château
de Montlhéry.
Dessin de Claude Chastillon, "Topographie française",
Ed. 1641 et 1648, Folio 22
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En 1529, François 1er donne la terre et seigneurerie de Montlhéry
à François d'Escars, seigneur de la Vauguyon, en conservant la faculté
de rachat. Le système des seigneurs engagistes dure jusqu'à la Révolution
(11). C'est sous François Ier que les habitants de Montlhéry, qui
ont à souffrir de " maux, pilleurs, larcins d'aucuns
mauvais garçons " (12), obtiennent, par lettres patentes
du 9 juillet 1540, l'autorisation de clore la ville de murailles,
pont-levis et fossés, cela à leurs frais et dépens. Ces murailles
sont apparentes sur la gravure de Hoefnagel de 1561 (fig.
3) ; elles forment une enceinte régulière, flanquée de tours
et de portes, sur celle du bourg de Montlhéry dessinée par Chastillon
(fig. 1).
Mais les trois illustrations de Chastillon représentent le château
démantelé avec la mention " chasteau et antianni ruisne
" (fig. 2).
Il faut comprendre que les ruines sont celles d'un château ancien;
le démantèlement, lui, est récent; il a été accordé en 1591 aux
Montlhériens par Henri IV, pas mécontent, sans doute, d'anéantir
une forteresse qui, à mainte reprise pendant la quête de la légitimité,
a servi de repaire à ses opposants et pourrait le redevenir.
Fig. 3 - Gravure du bourg
et château de Montlhéry.
Dessin de Georges Hoefnagel, 1561 (1582, Braun)
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La forteresse a été, en effet, intimement liée aux guerres de religion.
Dès 1562, lorsque le prince de Condé se sépare de la Cour et rassemble
son armée autour d'Orléans, il s'empare de Montlhéry. Boucher le
signale ainsi : " Pendant les troubles de la Ligue en
1562, Montlhéry fut pris par le Prince de Condé à la tête des Religionnaires
" (13). Le bourg est pillé et le château, investi, devient
le quartier général des Calvinistes qui en sortent pour ravager
les environs. Les monastères de Longpont et de Marcoussis, voisins
de Montlhéry, sont " dévastés, livrés au pillage et brûlés
" (14). On sait que c'est au début de ces guerres que la violence
prît plus spécifiquement une physionomie religieuse. La chapelle
Saint-Louis du château qui apparaît sur les gravures de Chastillon,
a, sans doute, été dévastée à ce moment (15). Jusqu'à la fin du
siècle, le château passera successivement aux mains des différents
partis en présence et l'on est autorisé à penser que ce n'est pas
sans dommages (16). En 1585, les Ligueurs chassent les troupes du
prince de Condé mais les habitants de Montlhéry, exaspérés, tuent
le capitaine et remettent leur bourg et sa forteresse à Henri III.
C'est le même Henri III qui ordonne, le 9 décembre 1587, aux Montlhériens
de réparer les fortifications de leur ville, bien en place sur la
gravure de Chastillon, ce qui sera à peu près terminé en 1589. Cette
même année, le due de Mayenne, qui commande l'armée de la Ligue,
envoie à Montlhéry un émissaire à la tête d'une troupe avec ordre
de s'y établir. Le prévôt de la ville fait remarquer que le
château est " inhabitable " et accueille
Henri IV en sauveur, le 5 avril 1590. Le roi fait un nouveau séjour
à Montlhéry à la fin de l'année. Dès son départ, des partisans s'emparent
du château et la ville est une nouvelle fois dévastée et pillée.
La résistance des habitants est vigoureuse et réussit à les chasser.
Mais la forteresse, dont l'état ne permettait plus l'installation
d'une troupe régulière, était devenue " Plutôt
une cause de danger que de protection " et le gouverneur
de Paris donne, en 1591, l'autorisation aux Montlhériens de la mettre
en " état de neutralité " et de la raser
au besoin.
C'est à ce moment que furent démolies les principales fortifications
de l'esplanade, que le vieux donjon fut démantelé et que l'on se
servit des matériaux pour achever les murs d'enceinte de la ville.
Le 15 décembre 1603, Jérôme le Maistre, sieur de Bellejambe,
obtient, par lettres patentes du roi Henri IV, l'autorisation de
prendre les pierres du château pour élever sa maison de Marcoussis,
à deux kilomètres de Montlhéry, et l'entourer de fossés (17). Il
devra cependant respecter le donjon. Des religieuses utilisèrent
également des décombres de la fière et vieille forteresse pour construire
une chapelle à Montlhéry même (18).
Le château et son site appartiennent maintenant à l'Etat; la forteresse
a été classée monument historique en 1842, immédiatement avant d'être
restaurée par Viollet-le-Duc en 1843. Quelques éléments permettent
de préciser les dates de construction de cet édifice. Duchalais
(19), le premier, a prouvé que le château actuel ne pouvait être
celui qu'avait construit Thibault File-Étoupe au XIe siècle. Cette
forteresse primitive se serait élevée, en conformité avec les usages
du haut Moyen-Age, sur la " motte de Montlhéry
", toute proche (20). Viollet-le-Duc pensait que le donjon
actuel appartenait à la première moitié du XIIIe siècle et il semble
qu'il ait eu raison, du moins en ce, qui concerne la première campagne
de construction (21). Salch distingue deux campagnes respectivement
au XIIIe et au XVe siècle (22).
Une série de comparaisons avec des châteaux bien documentés donnent
des indications intéressantes sur la question. Les deux premiers
niveaux du donjon de Montlhéry présentent de grandes similitudes
avec une tour du château de Coucy construit par Enguerrand de Coucy
entre 1225 et 1245 (23), d'une part, et avec le château de Dourdan
élevé de 1220 à 1222 par Philippe-Auguste, d'autre part. Les niveaux
supérieurs présentent des détails architecturaux (cheminées, en
particulier) très proches de ceux du château de Marcoussis, oeuvre
de Jean de Montaigu mise en chantier à partir de 1402 (24).
Le château de Montlhéry pourrait donc fort bien être le résultat
de deux campagnes de construction, l'une de la première moitié du
XIIIe siècle, l'autre du début du XVe.
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